• Une nuit à trembler de peur

     

    alerte au tsunami

     

     

     

    Après une matinée à « visiter des rues », et plusieurs soirées à se coucher tard, nous décidons de nous accorder une après-midi de repos. Ce soir se prépare la cérémonie d’ouverture de la « ramadas » en l’occasion des festivités qui accompagnent la fête nationale du Chili le 18 septembre. Au programme : concerts, danse folklorique, et repas traditionnel.  Le plan semble plutôt sympathique, mais on est encore un peu hésitant à sortir la nuit, surtout que les festivités se déroulent dans un quartier populaire de la ville. Il est bientôt 20h, alors que Yann prépare son sac et que j’écris l’une des pages de notre carnet de route tranquillement allongée sur le lit, la survenue d’un événement imprévisible ne laissera plus aucun doute à notre programme pour notre dernière soirée à Valparaiso …

     

                   « Yann, arrête de secouer le lit, c’est pas drôle ». Je relève la tête, et à ma grande surprise, Yann a ses deux mains dans les poches. En fait ce n’est pas le lit qui bouge, mais tout ce qui se trouve autours de nous. Yann jette un coup d’œil par la fenêtre, les fils électriques ondules dans une danse infernale alors que les bâtiments de tôles du quartier tremblent et se déforment. Les mouettes se sont toutes envolées de leur perchoir et dans un mouvement de panique effectuent des cercles dans tous les sens en poussant des cris. Les boiseries craquent, les tôles grincent, les vitres vibrent… faut pas rester là. Nous prenons nos passeports et dévalons les marches 4 à 4 pour rejoindre David resté au rez-de chaussé avec les autres hôtes de casa fisher « tremblement de terre, tremblement de terre ! ». La secousse est sans fin, ça fait déjà plus d’une minute qu’elle a commencée, et elle ne faiblit pas. Que doit-on faire ? Nous rassemblons nos connaissances sur le sujet : sortir des bâtiments et aller sur une place à l’écart des fils électriques et des murs ou tout élément qui pourrait s’effondrer. Le problème, est que les rues sont étroites, le quartier est fait de bric et de broc, et on se demande si ce n’est pas plus dangereux de sortir.

    notre quartier de bric et de broc

     

    La secousse cesse enfin, ouf. Le téléphone sonne, c’est la propriétaire de l’hôtel qui appelle pour donner les consignes à Emilie, Bruno et Carla qui assurent l’accueil en son absence. Alors que nous allumons la télévision pour savoir les consignes à suivre, une réplique du séisme a lieu. Le répit a été de courte durée. Cette dernière dure moins longtemps, mais n’est pas vraiment rassurante… tout le monde a à l’esprit le séisme du mois d’avril à Katmandu, tout le monde à le mot tsunami sur le bout des lèvres. Les alarmes de la ville retentissent, et au même moment on reçoit des messages d’alerte au tsunami sur les téléphones. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, on court à l’étage enfiler un manteau, récupérer nos sacs qui par chance étaient prêt pour notre départ à Santiago le lendemain, puis on évacue l’immeuble pour se réfugier sur les hauteurs de la ville.

                    Alors que nous empruntons les nombreux escaliers de la ville qui nous conduirons dans un endroit sûr, la circulation dans la rue s’intensifie. Les bus sont bondés, et les familles s’entassent dans leur véhicule en essayant de fuir Valparaiso. De notre côté, aucune panique, nous suivons le flot de gens et de chiens errant calmement. David est un peu perturbé car il a oublié son gâteau, Yann a laissé la salade de riz qu’il avait cuisiné avec amour dans le frigo, quant à moi j’ai oublié de mettre mon maillot de bain… les blagues vont bon train. Après une balade nocturne dans la ville à apprécier la vue sur la baie et le port éclairé, nous arrivons à la place la plus sûre de Valparaiso. Nous partageons les nouvelles avec les autres « évacués », écoutons la radio, puis les dernières informations télévisées sur un téléphone (et oui, c’est beau la technologie).

     

    notre quartier vu de nuit   vue sur la baie de Valparaiso

    sain et saufs sur la place

     

    Le séisme a eu lieu en mer, à 46km à l’ouest de la localité de Canela Baja au centre du Chili, et a été ressenti jusqu’à Buenos Aires en Argentine soit 1400km plus loin. La première secousse a été cotée à 8,3 et s’est placée au rang du plus fort séisme survenu en 2015. Deux répliques de 6,2 et 6,4 degrés de magnitudes sont apparues dans les 20 minutes suivantes, et d’autres sont à prévoir dans les heures, jours, semaines et mois à venir… c’est effrayant. Mais ce qui préoccupe tout le monde c’est l’arrivée du raz de marée. Une vague d’environ 4m doit s’abattre sur la côte Pacifique du pays. Hors d’atteinte sur notre colline, il n’y a plus qu’à attendre patiemment.

     

    Les habitants sont inquiets, mais connaissent exactement la procédure à suivre dans de telles occasions. Ils nous disent d’attendre sur la zone de rassemblement jusqu’à ce que les autorités lèvent l’alerte. Ils nous expliquent qu’en 2010, un séisme de magnitude 8,8 avait eu lieu à Valparaiso et avait fait plus de 500 morts dont la plupart à cause des répliques du tremblement de terre et du tsunami, les gens étant rentrés chez eux de façon trop prématurée. Suite à ça, la consigne avait été donnée d’attendre 4h après la première secousse, ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd.

     

    Le tremblement de terre qui vient de frapper la région est certes très fort, mais pas exceptionnel non plus. Le Chili est malheureusement habitué : il est situé sur la zone de contact entre la plaque tectonique de Nazca et la plaque sud-américaine – la première plongeant sous la seconde selon un mouvement de subduction. Situé sur la ceinture de feu, c’est le pays le plus sismique de la planète, devant le Japon. Le séisme le plus puissant enregistré dans le monde l’a été dans le sud du pays, en 1960 – d’une magnitude de 9,5, tuant plus de 5 000 personnes. En moyenne, le Chili connaît tous les dix ans un tremblement de terre de magnitude 8 et entre dix et vingt secousses de magnitude 7. Mais depuis quelques années, la sismicité du pays s’est accrue, à l’image de celle du globe – avec notamment les forts séismes de Sumatra (2004), Tohoku (2011) ou Bohol (2013).

    techtonique des plaques

     

    Deux heures plus tard les nouvelles tombent, le tsunami a fait de nombreux dégâts à Concon, une ville située à 17 km d’où nous sommes. A la vue des premières images de la catastrophe, nous prenons alors conscience de la chance que nous avons eu à Valparaiso où la vague n’a mesuré qu’un peu plus d’un mètre. L’alerte n’est cependant pas levée, il faut attendre au moins 23h. Il fait froid, il fait faim, nous partons vers un restaurant pour se remplir la panse et envoyer un mail aux familles qui dorment paisiblement pour éviter qu’elles ne soient prises de panique en entendant les infos. L’état de crise est déclaré : ils sont en rupture de stock d’empenadas, du jamais vu dans l’histoire du Chili (enfin on imagine…). Tant pis, nous nous rabattons sur le gâteau au chocolat et le cheesecake… ça n’a pas été facile, mais en situation de catastrophe il faut savoir s’adapter !

    situation de crise: rupture d'empenadas

     

    Entretemps il s’est mis à pleuvoir, et les autorités publiques (pompiers, policiers…) sont parties. Nous décidons donc d’en faire autant et de retourner à l’hôtel, où nos colocataires sont déjà rentrés. Il est 1h du matin, Yann et David se jettent sur la salade de riz, tandis que tombant de fatigue je saute dans mon pyjama. Au moment où je grimpe en haut de mon lit superposé, tout se remet à trembler… c’est pas vrai, le gâteau au chocolat était-il de trop? Un regard aux alentours… voilà que ça recommence. Je saute de mon lit, et enfile mes vêtements par-dessus, mes chaussures et dévale l’escalier. En bas, tous les gens dans le salon ne semblent pas réagir… mais après interrogation, tout le monde a senti la secousse. Que faire ? La télévision ne fait pas d’annonce particulière, et les alarmes de la ville restent silencieuse : nous remontons tous les trois nous coucher, habillés, prêts à sauter dans nos pompes et le sac au pied du lit. Alors que je suis de nouveau dans mon lit, Yann raconte à David notre mésaventure du début de soirée tout en secouant mon lit en criant « tremblement de terre, tremblement de terre ». Arrête, c’est plus drôle, laisse-moi dormir. Mais voilà que lorsqu’il cesse son jeu, mon lit tremble toujours, et tous ceux de notre chambre le suivent en cœur… encore une réplique. Finalement tout le monde se couche : Yann et David s’endorment en un quart de seconde, Dan qui partage notre dortoir en fait de même après quelques bières pour se donner du courage, et moi, je monte la garde. Je ne suis pas vraiment rassurée, d’autant plus que je sais qu’avec mon sommeil de plomb s’il se passe quelque chose je ne me réveillerai pas. J’attends patiemment que le jour se lève et compte les répliques en essayant de m’assoupir.

                  Au petit matin, nos sacs sont déjà prêts et nous sommes déjà habillés, quel gain de temps… c’est à noter ! Après avoir pris notre petit déjeuner en écoutant les informations, nous partons à pied à la gare des bus destination la capitale : Santiago du Chili où dans deux jours notre vol nous attend pour l’île de pâques. Sur notre chemin vers la gare routière, nous découvrons un étrange panneau devant les bars de la ville: "terremoto" kézako? Les barmans du coin ont un bon sens de l'humour, ils servent un cocktail qui reproduit les sensations du tremblement de terre comme l'indique son nom... à tester!

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